Une ombre. Vive, rapide, souple, invisible, qui se cogne brusquement contre un poteau...
Elle jure doucement avant de reprendre son parcours. La nuit a, depuis longtemps, jetée son voile sur la Rive du dragon. Tout ses occupants dorment à point fermé malgré les nombreux dangers encore présent sur l'île. Le premier d'entre eux : le volcan ! Il s'est réveillé aujourd'hui même ! Menaçant d'engloutir toute l'île de sa lave en fusion fraichement chaude...
"Non, ça ne va pas... Ce pléonasme n'est pas... Attends, non ! Une personnification ! Non... Un oxymore ? Je ne sais pas... On va dire un Clair obscure ! Attends... Pourquoi je disais ça à la base..."
L'ombre se remet en route, slalomant entre les tonneaux, les râteliers et les échelles.
Oui... Donc... On en était où ?
Ah oui !
Le volcan ! Il s'était réveillé ! Une vengeance de Viggo ? Peut-être, peut-être pas. Tant de possibilités, si peu de réponses... Ou alors, c'est simplement parce que le volcan s'est réveillé naturellement... On s'en fiche en faite : y'a des explosions ! C'est tout ce qui compte.
Quoi que, selon Harold, le volcan risque de ravager la Rive. Leur Rive. A eux tout seul.
Mais ne pensons pas à cela, cette nuit attend bien autre chose.
Elle poursuit son chemin avant de s'arrêter devant les étables à dragons.
Doucement, elle ouvre la porte et se faufile à l'intérieur. Dans une discrétion presque royale, si on écarte le faite que l'ombre est trébuché sur tout les objets possibles et imaginables à l'intérieur de la bâtisse, elle s'empare d'un des occupants, affairé à se reposer.
Il faut dire que l'attaque de Ryker et la fourberie de Viggo a épuisé tout le monde : dragonniers, dragons et...
"Poulet ? Poulet ? Poulet... Poulet !"
Pas de réponse.
L'ombre sort prestement de l'étable, le gallinacé dans les bras, et s'éloigne de la base, entrant dans la forêt.
Cette nuit, la lune est pleine. Et si on rajoute les crachats du volcan qui illumine de sa colère le ciel, on se croirait en plein jour.
L'ombre dépose délicatement le poulet au sol, puis, tente de le réveiller avec de petites tapotes sur la tête. La poule finit par ouvrir un œil.
"Poulet ? C'est moi ! Krane !"
Le poulet se rendort.
"Non, non... Réveille toi ! Poulet ! Je dois te parler..."
La poule rouvre un œil tout en caquetant.
"Non, je n'allais pas réveiller Kogne ! Quoi que quand on y pense, j'aurai pu... En mettant feu à son lit, en l'aspergeant de gel de Cauchemar monstrueux, enfin, Harold n'a pas été très content la dernière qu'on a utiliser ce gel pour nos amusements personnels..."
La poule poursuit son discours de poule, son le regard attentif de Kranedur qui hoche la tête à chaque reprise.
"Non, Prout non plus. J'aurai réveiller par mégarde Pète... Non, c'est à toi que je veux parler."
Le poulet se redresse, étonné.
"Quoi ? C'est vrai ! On ne parle pas si souvent tout les deux."
Poulet fronce les yeux.
"De toi à moi..."
Poulet fronce encore plus les yeux.
"Comme ça... Tout les deux..."
Poulet ferme les yeux.
"Tu me fais flipper là par contre..."
Poulet s'est rendormi.
"Poulet ! Concentre toi !"
Kranedur tapote de nouveau sur la tête de son compagnon qui se réveille pour de bon en gloussant.
"Je ne sais pas... Quatre, cinq heures avant l'aurore..."
Poulet s'assoit et le regarde. Kranedur en fait de même.
"C'est depuis que Harold et Astrid ne vont plus mourir."
Le gallinacé penche la tête.
"Ah oui... Tu n'étais pas au courant. Harold et Astrid ont frôlés la mort ; et dire que Rustik pensait que leur problème était monétaire. Haha, je te jure. Bon, du coup, ils vont vivre plus longtemps que prévu faut croire. Mais le truc énorme, c'est que, la mort... Enfin... La fausse mort les a rapprochée !"
Poulet caquette d'étonnement.
"Non, pas physiquement. Enfin, je ne pense pas... A ce compte là, Harold et moi, on s'est aussi rapproché, et plus d'une fois. Non, je veux dire qu'ils se sont rapprochés sentimentalement !"
Un silence suit la déclaration de Kranedur.
"C'est pas comme ça qu'on dit ?"
Poulet l'invite à continuer.
"Bah... Tu en penses quoi ?"
A la suite du "Cot" de son compagnon, Kranedur s'emporte :
"Jaloux ? Moi ? Non, je ne suis pas jaloux ! J'ai juste contracté une émotion secondaire qui représente mes pensées et sentiments d'insécurité, de peur et d'anxiété concernant la perte anticipée d'un lien affectif ayant une importante valeur personnelle."
Nouveau silence.
"Ouais, cette phrase est beaucoup trop longue et je n'ai aucune idée de ce que je viens de dire..."
Poulet se met alors à picorer le sol.
"Ils se sont embrassés !"
Poulet continu de picorer.
"Devant nous !"
Picorer.
"J'avais mes yeux ouverts !"
Picorer, picorer.
"Le contraire de fermer si tu préfères"
Picoti, picota.
"Ils s'affectionnent..."
Le poulet relève la tête. Les yeux de Kranedur sont plongés dans l'incompréhension la plus totale. Poulet cligne plusieurs fois des yeux.
"Qui ? Moi ? Je ne sais pas... Astrid était la seule fille du groupe... Attends, c'est toujours une fille, pourquoi j'utilise l'imparfait de l'indicatif ? Pardon Poulet ? Oui, il y a aussi Kogne, mais ce n'est pas la même chose de mon point de vue. Je ne vais tout de même pas se marier avec elle ? Quoi que... Bref, je dis "vague"... Il est vrai que dire que je n'ai pas été attiré par Astrid, ce serait mentir. Et Thor sait que j'adore mentir ! Mais pas cette fois... Je suis allé voir Gothik un jour pour lui expliquer : elle a dit que c'était à cause de mes honoraires."
Poulet ouvre de grand yeux.
"Ouais, je sais. Moi non plus je ne sais pas lire ce qu'elle gribouille dans le sable. A la base, je croyais que j'étais son truc, pour attirer l'attention. Mais apparemment, mes honoraires seraient une substance chimique biologiquement active sécrétée par une glande endocrine agissant à distance sur les récepteurs spécifiques d'une cellule cible."
Poulet se tape le crâne de son aile.
"Je l'ai lu dans un livre, donc c'est forcément vrai !"
Poulet lève les yeux au ciel, imité par Kranedur.
"Quoi ? Il fait nuit, je sais. Tu t'écartes du sujet principal ! Bref, oui, il semblerait que j'eusse été attiré par elle... Quoi ? C'est du subjonctif plus-que-parfait à la voix passive, Poulet. Faut vraiment que je te donne des cours de langage. Pardon ? Non, je ne lui ai jamais dit. Pourquoi ? Je ne pensais pas que ça aurait autant d'importance... Puis, entre nous, si il me faut choisir entre les discours de Thor ou de Freyja, je choisis Loki sans hésiter."
Poulet reste silencieux. Kranedur finit par craquer.
"Je ne sais pas... Oui, je ressentais quelque chose... De nouveau... D'inconnu... Je pensais que Loki m'avait pénétré, que c'était une farce de Kogne qui m'avait glissé quelque chose dans mon lait de rayack, ... Oui, rayak, un mélange entre un dragon et un yack... Quoi ? Je ne sais pas ! Maintenant que j'y pense, que j'en parle, oui, elle me plaisait et... Non Poulet, pas Kogne, Astrid ! Elle me plaisait ! C'était le chant de Freyja que j'entendais, mais j'ai fait le sourd, comme je fais le sourd devant le Chant Funeste..."
Poulet se met à partir dans un long monologue, rappelant de nombreux souvenirs de Kranedur.
"Ah... Oui... Cette fameuse journée... Astrid... Kogne et moi... Oui, et toi aussi Poulet. Kogne avait été enlevée et j'étais seul avec Astrid... Mais Poulet, qu'aurais-tu fait à ma place ? Ma sœur été en danger ! Je ne pouvais pas laissé parler mes sentiments alors que ma moitié familiale était aux mains de nos ennemis ! Et puis, il y avait cette dispute avec Astrid... Elle ne nous faisait pas confiance... Je me souviens m'être senti si vulnérable, si blessé, si affamé, si... De ? Je n'avais pas mangé depuis des heures, il fallait tout de même que je pense à mon appétit. Hé, mine de rien, l'amour, ça creuse, si tu vois ce que je veux dire..."
Poulet acquiesce vigoureusement.
"Cette aventure s'était bien terminée... On a fini par se rapprocher... Je pense... J'espère... Mais, idiot que j'étais, je suis retourné à mes occupations et destructions en tout genre... Non Poulet ! Il faut que je sois infâme avec moi même en cette heure ! J'ai laissé passé la plus belle occasion de ma vie, enfin, la deuxième... La première étant d'avoir hésité à jeter le Triple Attaque sur Rustik alors qu'il se lavait sous une cascade."
Poulet se lève et s'approche de Kranedur pour se frotter à lui.
"Je regrette... Mon silence... Maintenant, tout le monde est casé. Si, si Poulet. Varek avec Kogne, Rustik avec... Qu'est ce que tu dis Poulet ? Varek avec Ingrid ? Comment ça ? Tu les a vu ? Quand ? Comment ? Pourquoi ? Attends... Mais non, tu te trompes : Varek et avec Kogne. Bah oui ! Depuis que je les ai mariés, ils n'arrêtent de... Oui, c'était pas un vrai mariage, mais ça monte à la tête ces trucs là. Donc, Varek est avec Kogne, Rustik avec Ingrid, Harold avec Astrid et moi avec... Personne..."
Kranedur éclate en sanglots. Poulet rejoint sa tristesse.
"Pourquoi ça fait si mal Poulet ? Pourquoi ? L'amour, c'est pas censé être l'émotion, la sensation, le sentiment le plus doux, précieux qui soit ? On la clame dans les histoires, dans les légendes, mais on oublie de dire : pour deux cœurs unis, combien de cœurs sont brisés ? Ce vide... Cette souffrance... Cette blessure... Pire que quand j'ai perdu Pâquerette ! Et j'en suis toujours pas remis alors imagine avec Astrid !"
Kranedur attrape Poulet et le serre dans ses bras. Il manque de se moucher sur son plumage mais se ravise.
"Tu sais Poulet, parfois, un viking doit se rappeler qu'avant d'être un viking, et bien, c'est un Homme. Je pense que verser une larme, rien qu'une larme, nous permet de nous sentir vivre, de nous rappeler que nous sommes autre chose que des guerriers. Montrer à Odin, à Thor ou à Loki que nous avons tous une part de sensibilité qui mérite d'être prise en compte. D'être vénérer dans les halls du Valhalla, d'autant que le courage lors d'une bataille."
Poulet hoche la tête. Kranedur le repose au sol.
"Alors Poulet ? Je dois lui dire ? Je dois me taire ? Je dois faire quelque chose ?
- Cot cot cooot ?
- Où vont-ils Poulet ? Tout ces mots que l'ont ne dit pas ? Rejoignent-ils les rêves qu'ils ont bâtis tout en sachant qu'ils étaient impossibles de réalisation ?"
Dans un énième sanglot, Kranedur plonge son visage dans ses mains.
Poulet le regarde, impuissant.
"Poulet ? Regarde moi... C'est très sérieux !"
Kranedur vient de prendre son ami dans les mains et de élever au niveau de ses yeux.
"Promets moi... Promets de ne jamais me laisser tomber... Freyja a décidé du bonheur des uns au dépriment des autres. Qui suis-je pour m'opposer aux vœux des Dieux ? J'accepte leurs décisions sans broncher... Je ne peux m'en prendre qu'à moi même mais promets moi d'être toujours pour moi comme je l'ai été pour toi ! Je ne pourrais survivre à notre séparation ; même si, de toute évidence, je ferais tout pour ne pas le montrer aux autres ; tu es le seul... Enfin, non pas le seul... Il y a Harold, Rustik, Varek, ... Tu es mon meilleur ami... Et en ça, je ne peux concevoir une séparation... Promets le moi, Poulet !"
Poulet fini par lâcher un "cot". Kranedur ouvre de grands yeux. Il observe son ami, sans savoir quoi penser de sa réponse, sans savoir si...
"Non... Tu as raison Poulet... Je sais qu'on fond de moi, j'aurais fait la même chose..."
"Je sais qu'on ne s'aime pas mais... Enfin, si, on s'aime, mais pas comme tu l'entends ou comme moi je l'entends ou même comme Thor l'entends mais je... Oh mon Thor ! Tu es toujours obligé de prendre cet air ! Je n'ai pas terminé ! Merci... On est pote, hein ? Et entre pote... Je crois qu'il devrait y avoir une certaine transparence, un peu comme celle d'une eau de source ! Non, tu ne vois pas... Pas grave. Tout ça pour dire que... Déjà, je suis content de savoir que vous n'allez pas mourir et je... Harold, je n'ai pas fini ! L'écoute, ça te dit quelque chose ? Bon... Euh, on en est où ? Ah oui ! Donc, vous n'allez pas mourir, et ça, quand on y pense, c'est plutôt cool. Aussi, j'ai découvert que toi et... Et bah... Tu sais... Euh... Astrid... Et bah... Tu sais... Non ? Tu n'es pas au courant ? J'aimerai bien t'expliquer, mais je n'ai ni le cœur, ni le temps pour ça. Mais, pour résumé, entre Astrid et toi, ça s'emboite. Un peu comme une vis dans un écrou ! Sans que tu es le tournis à force de tourner autour d'elle. Bon, c'est très schématique, mais avec un peu de recule, tu comprendras ! Aussi, j'aimerais te... te... - soupire – Je vous souhaite le plus grand bonheur Harold. Tu as saisi une occasion que j'ai laissé de côté depuis trop longtemps. En même temps, tu es meilleur que moi dans bien des domaines, alors... Non, sérieusement... Voilà, prend soin d'elle comme tu as pris soin de nous, mon pote ! Bon... Il faut que je te laisse... Kogne, Prout, Pète et moi, on va faire un tour au dessus de volcan, pour voir les dangers potentiels... Mais surtout les dégâts que ça a occasionné ! Bon, à tout à l'heure !
- Qu'est ce qui se passe Harold ?
- Oh Astrid ? Euh... Krane vient de me parler...
- Et alors ? Qu'est ce qui lui arrive ?
- Rien, il vient de partir faire un tour...
- Qu'est ce qu'il t'a dit ?
- Que... Je crois que j'ai compris... Je dois juste... On doit lui laisser un peu de temps..."