CHAPITRE 12
– Astrid, réveille-toi ! criai-je en la secouant légèrement mais assez pour qu'elle ouvre les yeux.
Elle se réveilla en sursaut et se frotta les yeux avant de constater le bruit des cors du village.
– Oh non… souffla-t-elle.
Elle se leva précipitamment et vint trouver mes bras, nous nous serrâmes fort l'un contre l'autre. Je me détachai un peu d'elle pour lui caresser la joue d'un pouce. Je lui souris amèrement. Elle retint une larme.
– Il va falloir y aller…
– Non, non ! Je ne veux pas qu'on se sépare ! Pas encore une fois… sanglota-t-elle en me serrant dans ses bras de toutes ses forces.
Je lui caressais le dos pour la rassurer du mieux que je pouvais quand ma mère arriva en catastrophe.
– Harold… commença ma mère avant de se raviser.
– Astrid, Astrid… Calme-toi, l'implorai-je. Ça va bien se passer…
Elle n'était pas rassurée du tout, ce fut avec regrets que je la laissai dans les bras de ma mère. Je l'embrassai sur la joue.
– Je t'aime Astrid.
– Moi aussi Harold, dit elle tristement.
J'adressai un sourire reconnaissant à ma mère et sortis de la maison après avoir récupéré mon épée de feu. Krokmou ne tarda pas à me rejoindre. Jamais je n'avais vu le village autant actif que ce jour-là, chacun avait trouvé sa place et savait ce qu'il avait à faire. J'accourus en direction de la hutte d'Ingrid et lorsque j'arrivai enfin, je la trouvai aux côtés de Varek.
– Ah Harold, enfin ! s'exclama-t-elle.
– On n'attendait plus que toi, ajouta Varek.
– Excusez-moi, j'étais avec Astrid et…
– T'inquiètes, m'assura Ingrid en posant une main sur mon épaule.
Rustik et les jumeaux ne tardèrent pas à nous rejoindre, venant de la pièce d'à côté.
– Alors, où en est la situation ? demandai-je.
– Eret mène l'attaque maritime avec ses hommes, il y a déjà eu beaucoup de pertes… et l'armée de Drago est pratiquement à nos portes… Gueulfor et Erik tentent de freiner son arrivée tant qu'ils le peuvent encore mais Drago sera bientôt là.
– Merci Varek, on va se tenir prêts.
– Bon bah j'y retourne alors !
Ingrid s'avança vers lui et l'embrassa fougueusement puis Varek monta sur Bouledogre avec maladresse. Il en fut tout retourné, le pauvre.
– Suivez-moi ! ordonna Ingrid.
Nous nous dirigeâmes en courant vers la place du village, suivis de très près par nos dragons respectifs. Des centaines de vikings, hommes et femmes, nous y attendaient.
– Ton armée, annonça-t-elle, un sourire au coin de la lèvre.
– Ingrid, je…
– Allez
chef, à toi de jouer maintenant…
J'avais peur. Peur de prendre la parole, peur pour tous ces gens qui allaient donner leur vie pour Beurk et qui comptaient sur moi, peur de prendre mes responsabilités. Puis je pensai à Astrid, elle voudrait que je sois fort et que je prenne sur moi. Alors je me lançai :
– Peuple du Nord, vikings, hommes et femmes, le combat que nous allons mener sera difficile, du sang va couler et des larmes vont tomber mais n'oubliez pas la raison de ce combat et rappelez vous les actes de Drago Poinsanklan… N'oubliez pas pour qui vous vous battez et par-dessus tout, n'oubliez pas pourquoi nous nous battons ! Nous nous battons pour la paix ! Pour offrir un monde meilleur à nos enfants ! Alors battez vous pour la paix ! Battez vous pour Beurk !
J'étais monté en puissance au fil de mon cours discours et j'avais hurlé mes dernières phrases. Jamais je ne me serai cru capable d'un tel élan de confiance en moi. La foule répondit par des cris de guerre et des brandissements d'armes. Ingrid, Rustik et les jumeaux s'y mirent aussi, ils motivèrent encore plus les troupes. Et tous crièrent mon nom… Cela me fit un drôle d'effet. Une fois cette agitation terminée, chacun prit le commandement de son unité et je me retrouvai aux commandes de toute une armée avec pour bras droit Ingrid.
– Formez les rangs et tenez-vous prêts ! ordonnai-je.
Je me retournai et me retrouvai face à Ingrid qui m'observait d'un air sournois.
– Quoi ? demandai-je.
– On dirait que tu y prends goût.
– Prendre goût à quoi ?
– A commander des armées bien sûr ! s'exclama-t-elle comme si c'était une évidence.
– C'est pas mon truc Ingrid…
– Oh allez Harold, avoue que c'est excitant !
– Je ne vois pas ce qu'il y a d'excitant à mener une guerre Ingrid. C'est sérieux ce qu'on fait.
Elle fit la moue et baissa la tête puis se reprit et posa une main sur mon épaule.
– Ça va pas toi…
Je ne répondis rien, sur le coup. Bien sûr que je n'allais pas bien ! Avec toute cette pression qui reposait sur mes épaules, j'avais du mal à réfléchir correctement. De plus, je m'inquiétais énormément pour Astrid, j'espérai plus que tout qu'il ne lui arrive rien. Alors oui, il était normal que je ne me sente pas bien et que je sois en stress total. Je finis par hocher la tête négativement.
– Harold, tu sais je peux comprendre que tout ça t'inquiète mais il faut que tu en fasses abstraction durant la bataille, pour tes hommes et pour le bien de Beurk.
– Non Ingrid, tu ne peux pas comprendre. Astrid est tout pour moi, c'est l'amour de ma vie tu vois ? Et on va devenir parents… alors non, je ne peux pas faire abstraction de tout ça parce que si je fais ça, j'oublie pour quoi je me bats Ingrid…
– Excuse-moi… J'aurais pas dû dire ça… Je sais que toi et Astrid vivez une période très forte en émotion en ce moment et je… Pardon.
Cette fois c'est moi qui posai mes mains sur ses épaules.
– C'est bon Ingrid. C'est moi, je pars au quart de tour en ce moment…
Elle sourit.
– Encore pire qu'Astrid…
Je hochai la tête en souriant. Elle avait réussi à me faire sourire.
A présent, il ne nous restait plus qu'à attendre.
xXx
Valka me conduisit avec les autres femmes et les enfants dans la grande salle. Nous marchions vite et l'agitation était à son comble, les enfants avaient peur et ne lâchaient pas la main de leur mère. Nous traversâmes le village qui s'activait à équiper les guerriers en armes, nous vîmes les troupes s'organiser et les dragons se préparer au combat. Comme j'avais envie d'être avec eux… Nous parvînmes finalement au grand Hall. Valka m'attira dans un endroit reculé de la salle et m'invita à m'asseoir.
– Merci mais je préfère rester debout, répondis-je sèchement.
J'avais déjà du mal à digérer le fait de me retrouver ici, elle n'allait pas en plus m'obliger à m'asseoir. Ma place n'était pas ici avec tous ces pauvres gens. J'étais censée les protéger et ça n'était pas en restant ici que j'allais le faire… Je me rappelai subitement les propos d'Harold :
Je t'en pris Astrid, pour une fois dans ta vie, sois raisonnable… Si tu ne le fais pas pour moi, fais le pour le bébé. Et il avait posé ses mains sur mon ventre. Je posai instinctivement les miennes dessus. Harold avait raison, ce n'était pas raisonnable mais en même temps, ça me rongeait de l'intérieur de rester ici à ne rien faire qu'attendre. Je me promenai entre les petits groupes de villageois, certaines femmes chantaient des chants d'espérance tandis que d'autres racontaient de vieilles légendes héroïques aux enfants. Je m'arrêtais quelques fois pour écouter, moi aussi, ces fables oubliées. Je discutais avec les gens et essayais de les rassurer en leur donnant espoir. Je poursuivis mon déambulement dans la grande salle jusqu'à ce que je retourne auprès de Valka.
– Tu as vraiment l'étoffe d'une femme de chef, déclara-t-elle.
Je lui souris et vint m'asseoir à côté d'elle pour la serrer dans mes bras.
– Merci Valka… soufflai-je.
Mais nous fûmes interrompus par un bruit de cors. Drago avait pénétré dans l'enceinte de Beurk.
xXx
– Krokmou, ça va mon grand ? m'inquiétai-je.
– Qu'est-ce qu'il y a ? demanda Ingrid.
– Il a senti quelque chose…
– DRAGONS ! hurlèrent les troupes.
Ingrid et moi levâmes la tête simultanément. Des dragons en armure peuplaient le ciel. Gueulfor et Erik arrivèrent en courant, suivis de leurs hommes, en criant que Drago arrivait. Ingrid et moi réagîmes tout de suite en prenant en charge les dragonniers et ainsi gérer l'attaque aérienne. Rustik et les jumeaux firent de même. Gueulfor et Erik quand à eux, prirent le commandement des armées terrestres. Les hommes de Drago se dirigèrent par centaine vers la place du village en détruisant tout sur leur passage, le combat venait de commencer.
Jamais je n'avais assisté à une guerre et encore moins participé. La notion de combat était nouvelle pour moi alors lorsque je vis arriver les trentaines de dragons en armures que j'avais entraînés à Göteborg, il me fallut un peu de temps avant que je ne donne mes ordres. Je les observai un instant et c'est là que je remarquai que quelque chose clochait.
– Attendez ! criai-je en arrêtant mes hommes d'un signe de la main.
– Quoi ? Qu'est-ce qui se passe encore ? râla Rustik.
– Leurs yeux… Regardez leurs yeux ! Ils ont été conditionnés ! m'exclamai-je.
– Tu veux dire que ? commença Ingrid.
– Oui… Ils ont été programmés pour nous tuer… soufflai-je.
Je m'adressai à la totalité des dragonniers à haute voix.
– Vous vous souvenez de ce que je vous ai dit à l'entraînement ? Et bien… C'est d'autant plus valable maintenant ! Ces dragons sont redoutables alors redoublez de vigilance !
– A l'attaque ! finit Ingrid.
Et nous nous lançâmes. Nous tuâmes des dragons. Je suivais Krokmou dans chacun de ses mouvements, luttant contre des dragons dépourvus de toute âme et bien plus forts que ce que je ne me l'étais imaginé. Cependant, je n'avais pas l'impression d'être acteur du combat, c'était Krokmou qui bataillait pour me protéger. Moi, je n'étais que spectateur de toute cette tuerie, tout se passait si vite… Je n'arrivais plus à analyser la situation… jusqu'à ce que je tombe, que nous tombions. Krokmou et moi tombâmes en plein milieu des combats singuliers qui opposait mon armée à celle de Drago. La violence de ces luttes m'impressionnait, je n'avais jamais vu des hommes se battre ainsi… entre eux. Un guerrier n'hésitait pas à planter une épée dans le dos de son adversaire ou à le priver d'un de ses membres. Les hommes de Drago et les miens s'entretuaient sous mes yeux. L'odeur du sang était partout et les cris des guerriers mêlés à ceux des victimes apeurées retentissaient sur le champ de bataille. Un des ennemis fonça sur moi, il m'écarta loin de mon dragon. Je ne pouvais plus compter que sur moi-même pour m'en sortir. Il frappa avec son épée au niveau de mon bras, le coup fut sec et la douleur aussi. Heureusement, il ne m'avait que légèrement touché grâce à mon épaulette qui avait amorti le coup. Je sortis mon épée de feu dans la seconde qui suivit, il fallait que je riposte vite avant que la lutte ne tourne en sa faveur. Je lui enflammai le bras et parvins à me dégager de son emprise. Je courus à travers les combats acharnés auxquels se livraient les hommes tout autour de moi, non sans mal. J'utilisais mon épée pour les repousser un maximum et jetais un coup d'œil à droite, à gauche, cherchant Krokmou du regard mais je ne le voyais nulle part. Dans ma course incertaine et dangereuse, je finis indéniablement par tomber. Je maudissais vraiment ma jambe métallique par moment. Je commençais à me faire piétiner quand je sentis une main me tirer par le col, ça y est c'était la fin.
– Mais qu'est-ce que tu fiches ici Harold ?!
– Gueulfor ? m'étonnai-je en ouvrant les yeux.
Il me posa à terre.
– Alors ? insista-t-il.
– Oui… hum… Je suis tombé et… Krokmou il a… Je sais pas où il est…
– Monte. On va essayer de voir où qu'il est en prenant d'la hauteur.
Je me plaçai derrière lui sur Grump et nous survolâmes Beurk afin de le retrouver. La bataille faisait rage, du point de vue d'ensemble, on voyait que Beurk résistait bien aux attaques cependant les troupes ennemies ne semblaient pas reculer pour autant. Et je ne voyais toujours pas Drago. Mais où se cachait-il bon sang ? Je n'eus pas le temps de réfléchir à la question, Krokmou était là, juste en dessous de nous, il était sur le point de se faire abattre par une troupe de trappeurs de Drago.
– Là ! hurlai-je en le pointant du doigt.
Grump nous fit descendre aussitôt auprès de lui. J'empêchai une flèche d'atteindre sa cible et de toucher Krokmou en plein cœur. J'accourus auprès de lui pour me placer sur son dos, je lui tapotai affectueusement la tête.
– Ça va aller mon grand, je suis là… allez, on décolle ! m'écriai-je.
Gueulfor fit de même et les dernières flèches ne purent nous atteindre. Il m'adressa un signe de tête et je repartis avec Krokmou auprès des autres dragonniers. J'examinai mon dragon au passage et ne constatai rien d'alarmant, seulement une petite entaille au niveau de l'oreille gauche et quelques autres égratignures. Il avait échappé belle mais pour combien de temps encore ? Si nous n'étions pas arrivé à tant, il serait peut être mort à l'heure qu'il est… Si je n'arrivais déjà pas à protéger mon propre dragon, comment pouvais-je protéger tous les autres de Drago ? Toute cette agitation m'avait presque fait oublier la raison première pour qu'il fasse cette guerre, il cherchait à anéantir tous les dragons de ce monde. Je remarquai alors que le champ de bataille sur lequel les hommes se déchaînaient était couvert d'un nombre infime de carcasses de dragons morts. Le combat ne faisait que commencer.
xXx
Ça faisait plus de cinq heures que la bataille faisait rage dehors. Ma patience avait ses limites et je crois qu'elle les avait largement dépassées. J'arrêtai de balancer ma jambe en rythme et me levai puis commençai à faire les cent pas en réalisant des allers et venus dans la grande salle en croisant les bras.
– Astrid, je t'en pris, assied-toi…
– Non, je ne veux pas m'asseoir ! C'est insoutenable, j'en peux plus de ne pas savoir ce qui se passe ! Je veux savoir ! m'énervai-je.
– Astrid… Calme-toi… Tu as dit tout à l'heure que tu avais des crampes au niveau du bas-ventre, est-ce qu'elles sont parties ?
– Non… Ça me fait super mal… En plus, le bébé n'arrête pas de me donner des coups de pieds, c'est insupportable…
– C'est parce qu'il sent que tu es stressée… Raison de plus pour venir t'asseoir.
– Mais non ! Je ne suis pas bien, assise… Ah…
Je serrai les dents, je ne voulais pas être faible, je ne le devais pas.
– Astrid…
– Ça va. Je vais bien, dis-je en reprenant ma respiration. Je vais aller demander aux hommes s'ils en savent plus sur ce qui se passe à l'extérieur.
– Astrid, tu es déjà allée leur demander il y a moins d'une heure de cela et ils t'ont dit qu'ils n'avaient aucune information… .
– Mais peut-être en ont-ils à présent ? émis-je, quelque peu agacée.
Je partis en direction du milieu du grand Hall mais avant d'avoir pu faire un mètre, j'eus un haut le cœur tellement les crampes se faisaient de plus en plus rapprochées. De plus, les coups de pieds ne cessaient pas. Je me tins le ventre d'une main et m'appuyai sur un des piliers en bois de la salle, de l'autre. La tête commençait à me tourner, j'entendis la voix de Valka m'appeler puis accourir auprès de moi.
– Astrid ! Qu'est-ce qu'il y a ? demanda Valka, visiblement très inquiète.
– Je… j'ai mal à la tête… et les crampes sont de plus en plus violentes… soufflai-je.
Valka me soutint par une épaule et m'obligea à m'asseoir lorsque nous arrivâmes près d'un banc. Elle passa sa main sur mon front puis l'essuya avec un mouchoir.
– Tu es brûlante et trempée de sueur… Peut-être que…
Elle n'eut pas le temps de finir sa phrase que je hurlai en la tenant par les épaules. C'était comme si la douleur m'avait transpercée le ventre. Je sentis aussitôt un liquide chaud se déverser de moi et mouiller mes vêtements.
– Oh mes dieux ! s'exclama Valka en souriant. Astrid ! Le bébé arrive !
Je tombai des nues.
– Quoi ? Maintenant ? Là tout de suite ? sanglotai-je.
– Je vais chercher Gothik !
– Non, non reste avec moi Valka ! Je suis désolée pour toute à l'heure… Reste !
Elle resta alors auprès de moi et chargea quelqu'un d'aller chercher Gothik.
– Tu verras, tout se passera bien, dit-elle d'une voix posée.
Seulement, j'étais plus effrayée qu'autre chose. Je ne comprenais pas ce qui m'arrivait… je n'étais pas si émotive d'habitude.
– Mais c'est trop tôt ! Je ne suis pas prête et je devais faire ça avec Harold, on devait le faire ensemble ! Oh mes dieux, je n'y arriverai jamais sans lui… Oh Valka, je t'en prie, va le chercher, va chercher Harold ! sanglotai-je.
– Astrid, calme-toi. Je vais y aller, d'accord ?
J'hochai la tête et Gothik arriva accompagnée de deux autres femmes, des guérisseuses sans doute. Valka me laissa toute seule avec elles et partit trouver Harold.
– Je reviens vite ! me lança-t-elle.
Je me levai avec difficulté et on m'amena dans un coin de la grande salle, à l'abri des regards indiscrets. Elles m'installèrent sur une des tables de la salle où elles avaient disposé une couche épaisse de draps.
– Et maintenant, soufflez.
xXx
– Rustik ! criai-je.
Je ne le distinguais plus à travers les flammes qui dévoraient les écuries de dragons. Des catapultes avaient incendié les écuries et nous tentions de sauver les bébés dragons ne sachant pas encore voler coincés à l'intérieur. Tout le monde était sorti les bras chargés de nouveaux nés sauf Rustik qui demeurait à l'intérieur. Je l'appelai une nouvelle fois, pas de réponse.
– Harold, on doit encore évacuer tous ces dragons… intervint Ingrid.
– Mais on peut pas l'abandonner !
– Harold…
Une boule de feu se forma dans l'incendie, Rustik en sortit, un peu embrasé mais vivant.
– Rustik ! Ouais, ouais… Ouais ! s'exclama-t-il en toussant.
– Rustik ! J'ai cru que tu étais…
– Mort ? Enfin Harold… ironisa-t-il.
J'étais soulagé, Rustik n'avait rien et nous allions pouvoir poursuivre notre sauvetage improvisé. Nous nous éloignâmes des écuries et nous nous dirigions vers l'académie quand je vis ma mère arriver sur Jumper à toute vitesse dans notre direction.
– Harold ! s'écria-t-elle.
Elle arriva enfin, essoufflée, et se mit à mon niveau pour me parler.
– Maman ? Mais qu'est-ce que tu fais là ?
– Harold, il faut que tu viennes. C'est très important… commença-t-elle.
– Mais je ne peux pas quitter la bataille ! Je suis à la tête d'une armée de dragonniers et…
– Astrid est en train d'accoucher !
– Que… quoi ?
– Tu vas être papa ! sourit-elle, émue.
– Quoi, maintenant ? Mais je…
– Vas-y Harold ! Je prendrai le commandement en ton absence. Fonce !
Je laissai donc mes amis sous l'autorité d'Ingrid et rejoignis ma mère pour qu'elle m'emmène auprès d'Astrid. Je survolai une fois de plus la bataille qui battait toujours son plein en dessous de nous. Nous arrivâmes finalement derrière la grande salle, ma mère m'invita à pénétrer à l'intérieur et nous laissâmes nos dragons à l'extérieur, malgré la désapprobation de Krokmou. Nous slalomâmes en travers des femmes et des enfants pour arriver dans un coin de la grande salle où des rideaux faits de deux draps avaient été dressés. J'hésitai alors à entrer.
– Allez, vas-y, elle t'attend, prononça ma mère avant de me pousser à l'intérieur.
Astrid était allongée sur une table, les jambes écartées et le dos relevé, elle souffrait. Je courus la rejoindre pour me placer à ses côtés. Lorsqu'elle me vit, elle éclata en sanglots. Je la serrai fort contre moi.
– Oh Harold… J'ai eu si peur pour toi… Je suis désolée…
– Chuut… Je suis là maintenant, murmurai-je tout en lui caressant le visage.
– Allez Astrid, on y retourne, dicta une des femmes qui accompagnaient Gothik. Un, deux, trois… Poussez !
Le visage d'Astrid se crispa en faisant ce que lui demandait la guérisseuse mais elle hocha la tête de par et d'autre, complètement démunie.
– J'y arrive pas ! gémit-elle.
Je ne savais pas quoi faire pour l'aider alors je lui pris la main et lui maintins le dos pour la soutenir.
– Allez mon amour, tu vas y arriver ! l'encourageai-je.
Alors elle poussa une nouvelle fois en serrant ma main très fort cette fois et elle émit un long cri de souffrance avant de reprendre sa respiration.
– On voit sa tête ! s'écria Valka.
Astrid tourna la tête vers moi en souriant, je lui souris à mon tour.
– Encore un p'tit effort Astrid… dis-je en lui caressant le dos.
– Allez-y poussez !
Astrid poussa de toutes ses forces, elle hurla de douleur et bientôt ses hurlements furent couverts par d'autres cris, ceux d'un bébé, notre bébé.
– C'est une petite fille, déclara l'une des femmes.
Gothik coupa la dernière chose qui reliait notre fille à sa mère et nous présenta un nouveau-né sale et recouvert de sang. Astrid reprenait à peine sa respiration que Gothik lui colla le tout petit être dans les bras. Elle la prit avec prudence et la cala délicatement dans ses bras. Un large sourire se dessina sur ses lèvres, elle était comblée.
– Harold… On a fait ça… souffla-t-elle, émue.
Je lui caressai les cheveux et l'embrassai sur la joue, j'étais le plus heureux des hommes.
– Félicitations Astrid… Tu t'es battue jusqu'au bout.
– Merci Harold, merci.
Je m'apprêtai à lui répondre quand un énorme bruit retentit dans toute la salle, c'était une explosion.
– Je vais voir ce que c'était.
– Harold ! cria Astrid.
Je sortis et je vis des hommes tenter de renforcer la grande porte qui venait d'être fragilisée.
– Harold ! Qu'est-ce que tu fais ? s'exclama ma mère.
– Il faut que j'aille voir ce qui s'est passé dehors !
J'accourus hors du grand Hall et me dépêchai de me rendre devant celui-ci. Lorsque j'y parvins enfin, Ingrid était là avec quelques autres hommes à protéger la porte de la grande salle des attaques de… Drago. Il était sur un énorme dragon et riait à gorge déployée du sort de mes hommes. Je me joignis à eux pour les aider et Drago m'adressa la parole.
– Ah ! Voilà enfin le maître des dragons ! Je croyais que tu ne sortirais jamais de ton trou… lâcha-t-il.
– Drago…
– Mais maintenant, on va enfin pouvoir en finir !
Il avait hurlé la fin de sa phrase. Il se mit à tirer partout sur tout ce qui bougeait mais sa véritable cible, c'était moi. Je tournai la tête pour voir où se trouvait Ingrid quand je l'entendis hurler :
– Harold ! Attention !
Elle se posta devant moi avant que je ne me prenne le tir de Drago. La violence du choc me propulsa une dizaine de mètres plus loin, je cherchai à scruter les environs mais je voyais flou puis plus rien.
Il faisait noir, je détestais le noir. J'avais peur du noir parce que je ne voyais rien du tout et ça m'angoissait alors j'allumai une bougie. J'étais tout seul à la maison, Papa n'était pas encore rentré. Alors je l'attendis en faisant un dessin. Et une heure plus tard, j'entendis la lourde porte de la maison s'ouvrir, j'accourus en direction de la porte pour aller voir Papa.
– Papa ! m'écriai-je.
Il me prit dans ses bras et me fit un gros câlin. J'aimais bien quand Papa me faisait des câlins comme ça.
– Je suis venu te dire au revoir, Fils. Papa part pour un long voyage, d'accord ?
Je boudai, je n'aimais pas quand il partait longtemps.
– Pourquoi tu pars toujours longtemps Papa ?
– Harold, tu sais que c'est pour trouver le nid des dragons. Je dois partir longtemps, c'est comme ça. Et puis, Geulfor sera là.
– Mais moi je veux que tu restes avec moi !
– Fils…
Je ne voulais plus l'écouter, je montai dans ma chambre pour m'y enfermer. Je m'assis sur mon lit, ramenai mes jambes contre moi et me mis à pleurer. J'étais triste que Papa s'en aille, il ne voulait jamais m'écouter…
Au bout d'un moment, j'entendis de gros pas venir de l'escalier, Papa était en train de monter. Vite, j'essuyai mes larmes du revers de mon bras et me mis sous les épaisses couvertures. Papa entra avec une bougie dans les mains. Il savait que j'avais peur du noir. Il la posa sur ma table de chevet, à côté de moi. Il se pencha ensuite sur moi et m'embrassai sur le front. Je le pris dans mes petits bras et le serrai très fort.
– Bonne nuit Papa.
– Bonne nuit Fils.
Je posai la tête sur l'oreiller et il me borda. Il se releva ensuite et partit en direction de la porte mais avant qu'il ne sorte, je lui adressai la parole encore une fois avant qu'il ne s'en aille.
– Je t'aime Papa.
J'entendis la porte se fermer.
– Moi aussi Harold, moi aussi.Je sentis que mes yeux étaient sur le point de s'ouvrir mais je replongeai une nouvelle fois dans le néant.
Krokmou avançait lentement vers moi avec ces yeux terrifiants. Je l'implorai de se reprendre mais il continua d'avancer.
– Non, arrête !
Et c'est alors que mon père surgit de nulle part.
– Fils ! s'écria-t-il.
– P'pa non ! Non ! hurlai-je.
Mon père me poussa et ce fut lui qui se prit le tir meurtrier de Krokmou.Mon père m'avait sauvé la vie et Ingrid venait de faire exactement la même chose.
J'ouvris les yeux. Krokmou se trouvait au-dessus de moi et me protégeait avec ses ailes. Je regardai autour de moi et vis Ingrid à terre, quelques mètres plus loin. Je me levai précipitamment et courrai la rejoindre. Je la pris dans mes bras, elle respirait encore mais son visage était très pâle et ses yeux presque fermés.
– Ingrid ! Je t'en prie reste avec moi, Ingrid ! criai-je.
– Harold… souffla-t-elle.
– Oui ? sanglotai-je.
– Merci… dit-elle en fermant les yeux.
– Non ! Non, Ingrid ! Ne me laisse pas ! Ingrid !
Ingrid était morte dans mes bras. Aucun mot ne parvenait à décrire ma douleur. Elle était comme une sœur pour moi. Je pleurai en serrant son corps froid, sans vie contre le mien, inconsolable.
J'en avais assez qu'on cherche toujours à me protéger, mon père, Ingrid, Gueulfor, Krokmou, Astrid… Je ne pouvais plus permettre que ce genre de choses arrive encore, il en était hors de question. J'allais mettre un terme à tout ça, une bonne fois pour toute.
Varek et les autres dragonniers arrivèrent peu de temps après l'incident, il était bouleversé. Suffisamment de monde s'occupait d'Ingrid à présent, je pouvais y aller. On tenta de me retenir mais j'étais plus déterminé que jamais. J'enfourchai Krokmou et décollai à toute vitesse. Mon objectif, trouver Drago. Krokmou et moi épiâmes les environs à toute vitesse mais Drago ne fut pas difficile à trouver, il était niché sur le bord de l'île avec son imposant dragon. Dès que je fus assez proche de lui, je demandai à Krokmou d'actionner son tir plasma le plus puissant et le fis tomber de son dragon. Krokmou nous posa à seulement quelques mètres de lui, je descendis et lançai mon épée de feu sur son pic tranchant. Je ne ratai pas ma cible, je pris son pieu, récupérai mon épée au passage et le menaçai avec les deux, le faisant reculer. Il mit les deux mains en avant tout en riant sans retenue, démentiellement.
– Alors que va me faire le Maître des dragons maintenant qu'il a des armes en mains ? ricana-t-il.
Il pouvait bien rire autant qu'il voulait, il ne me faisait plus peur. J'avançai de nouveau vers lui plus menaçant cette fois.
– Tu n'avais pas le droit ! Elle n'avait rien fait ! hurlai-je. Elle était innocente ! m'écriai-je.
La rage crispa mes paroles.
– Tu vas payer pour ce que tu as fait Drago… Pour tout ce que tu as fait…
Je fonçai sur lui et lui plantai son pieu dans la poitrine en plein dans le cœur. Il ramena instinctivement ses deux mains sur l'arme qui venait de le tuer et en reculant, tomba de la berge et sombra dans l'océan.
Des acclamations suivirent ce geste fait sous le coup de la colère. Je venais de mettre fin à la guerre. Je m'envolai sur le dos de mon dragon en direction de la grande salle qui avait été rouverte. Je me précipitai à l'intérieur et atterris directement dans les bras d'Astrid qui m'attendaient en larmes. Nous nous serrâmes fort l'un contre l'autre.
– Harold… Qu'est-ce que tu as fait ? sanglota-t-elle.
Je posai ma tête sur son épaule, démuni et perdu, les larmes aux yeux.
– J'ai tué Drago… déclarai-je d'une voix à peine audible.
Elle s'écarta légèrement de moi pour poser ses mains sur mes épaules et observer mon visage.
– Harold…
– Je sais, je sais… Ce n'était pas la solution ! Mais tu vois Astrid, j'en ai marre qu'on me protège… C'est à moi de vous protéger ! Un chef protège les siens…
Elle me ramena dans ses bras pour me serrer de nouveau contre elle.
– Qu'est-ce que tu comptes faire maintenant ? demanda-t-elle au bout d'un moment.
– J'ai besoin de voir notre fille d'abord, je t'expliquerai après.
Elle me prit la main et je la suivis jusqu'à l'autre bout de la salle, ma mère nous y attendait, le bébé dans les bras. Elle transféra le bébé dans ceux d'Astrid qui s'avança vers moi pour me déposer le nouveau-né à son tour. Je calai notre fille du mieux que je pus et la berçai légèrement.
– Bonjour toi… dis-je en chuchotant doucement.
Mes nerfs tombèrent et une larme coula sur ma joue, j'étais tellement heureux.
– Ma petite dragonne… souris-je. Je t'aime déjà tellement si tu savais… Papa sera toujours avec toi… toujours… dis-je en lui déposant un petit baiser sur le haut du crâne.
– Ingrid. Elle s'appelle Ingrid, déclara Astrid en se penchant derrière moi, posant sa tête sur mon épaule en me serrant contre elle.
– Ingrid… souris-je, ému.
…
– Tu es sûr de toi ? demanda-t-elle.
– Oui, je suis sûr de moi Astrid. Je ne reviendrai pas sur ma décision.
– Très bien, alors.
– Allons-y.
Je la pris par la taille et nous avançâmes dehors, main dans la main jusqu'au centre du village. Astrid me laissa prendre place sur la petite estrade aménagée avant de rejoindre les autres villageois rassemblés autour de moi. J'attendis le silence et je me lançai.
– Peuple de Beurk, aujourd'hui est un jour de deuil pour chacun d'entre nous, ici présent. Certes, nous avons remporté la bataille contre Drago mais la tristesse et la peine causées par ses actes resteront. Un chef protège les siens et aujourd'hui, je n'ai pas réussi à vous protéger. On m'a souvent dit que j'étais un homme de paix mais j'ai tué un homme aujourd'hui. J'étais censé être capable de rassembler dragons et vikings mais regardez ce carnage ! Des centaines de milliers de dragons et d'hommes sont morts aujourd'hui ! Ce genre de combats sanglants n'aura plus jamais lieu parce que je peux encore faire une chose pour nous protéger tous. Je déclare l'exil des dragons.
Les contestations commencèrent à monter au sein des vikings de Beurk, je repris aussitôt, me forçant à élever la voix.
– Des hommes comme Drago, il y en a eu de tout temps et il y en aura de tout temps. Si ce n'est pas lui qui les extermine, ce sera quelqu'un d'autre ! Tant que les dragons vivront avec nous, ils ne seront pas en sécurité et nous non plus. C'est pourquoi je demande cet exil, pour le bien de tous. Je sais que c'est très dur pour vous, moi le premier mais c'est la meilleure solution, croyez-moi.
Un silence de plomb commença à s'installer quand ils se mirent petit à petit à faire un signe que je n'eus aucun mal à reconnaitre. Il s'agissait du salut de mon père, un poing levé vers le haut. Bientôt ce fut la totalité du village qui réalisa le salut viking. Ils venaient d'approuver ma décision.
Les adieux furent extrêmement difficiles. Tous les vikings et leurs dragons s'étaient réunis sur la place du village pour leur dire au revoir une dernière fois. C'était très émouvant de voir l'amour que nous leur portions s'exprimer de cette façon. Je ne les exilai pas pour rien, et mon peuple le savait. Si nous voulions les préserver de l'extinction qui les guettait, c'était la meilleure chose à faire.
J'arrivai aux côtés de Krokmou, Astrid et Tempête, les bras chargés. Je caressai la tête de mon dragon en le regardant droit dans les yeux, je luis souris faiblement. Je lui présentai l'aileron autonome que j'avais inventé pour lui et qu'Astrid avait refait. Il se mit à reculer, je le retenus.
– Hey… Krokmou… Je sais que ça ne te plaît pas tout ce qui est en train de se passer. Mais si je fais ça, c'est pour ton bien, tu le sais, reniflai-je.
Il se colla contre moi et me lécha la tête. J'émis un petit rire et le serrai une nouvelle fois contre moi.
– Merci mon grand.
Je lui installai son nouvel aileron et vérifiait son fonctionnement avant de me replacer face à lui.
– Et voilà. Ça te servira sûrement plus qu'à moi… dis-je en plaisantant.
Astrid arriva derrière moi et s'avança vers Krokmou, elle le prit dans ses bras.
– Au revoir Krokmou, merci pour tout ce que tu as fait pour nous… murmura-t-elle.
Elle desserra son étreinte et posa une main sur mon épaule avant de retourner derrière moi. Je pris une dernière fois Krokmou dans mes bras.
– Je t'oublierai jamais mon grand, t'es mon meilleur ami… On se reverra dans le Valhalla…
Il sembla rechigner et émit un triste grognement. Je finis par le relâcher et reculai pour me retrouver dans les bras d'Astrid qui m'agrippa la taille en me serrant fort contre elle, elle me soutenait du mieux qu'elle pouvait.
Tous les dragons se réunirent autour de Krokmou qui me regarda une dernière fois avant de s'envoler. Tous les autres le suivirent et quelques battements d'ailes plus tard, tous les vikings étaient déjà aux bords de l'île en train de les acclamer et de leur adresser un dernier au revoir de la main. Deux larmes coulèrent sur ma joue tandis que j'observais les dragons s'envoler au loin pour toujours.
Quatre ans plus tard…– Papa ! Parle-moi encore des dragons ! s'exclama Ingrid.
– Ingrid, il se fait tard…
– S'il te plaît ! insista la petite brune aux yeux bleus.
Astrid pénétra à l'intérieur de la chambre et s'assis sur le lit, à côté de sa fille.
– Allez Harold, si ça lui fait plaisir ! renchérit Astrid.
Je soupirai. Comment pouvais-je refuser quoi que ce soit aux deux plus grandes femmes de ma vie ?
– Très bien, qu'est-ce que tu veux savoir ?
– Racontes moi comment tu es devenu ami avec Kokmou !
Je ris de bon cœur.
– Ah ma chérie, c'est Krokmou…
– Oups… Pardon, s'excusa-t-elle en souriant.
Je me rapprochai d'elle et d'Astrid et commençai mon récit.
– Quand j'étais petit, les dragons peuplaient ce monde…
FIN.